Black Friday, malédiction ou bénédiction en temps de crise ?

Le secteur du commerce de détail est en crise Els Breugelmans, experte en marketing et retail à la KULeuven, expose les défis et opportunités auquel il fait face.

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Les défis de la crise énergétique

La professeure Els Breugelmans est une spécialiste du marketing et du retail à la KU Leuven. Quels sont, selon elle, les défis auxquels sont confrontés les petits détaillants actuellement ? « La crise énergétique que nous traversons touche tous les commerçants. Tout devient plus cher et plus rare : des matières premières aux transports. En raison de ces fortes hausses de prix, nous constatons actuellement que de nombreux commerçants jettent l’éponge, voire font faillite. Je ne pense pas que cette tendance s’arrêtera de sitôt. » Heureusement, Els Breugelmans propose quelques conseils qui peuvent aider les détaillants à traverser cette période difficile.

1. Internet ne fait pas de concurrence à votre boutique physique 

L’e-commerce a connu un essor considérable pendant la crise de la Covid. Ces dernières années, de nombreux commerçants locaux ont également développé des activités en ligne afin de stimuler les ventes dans leur magasin physique. « Lors de la crise de la Covid, leur webshop a souvent été la bouée de sauvetage pendant les périodes où les magasins physiques devaient rester fermés. L’e-commerce est donc déjà solidement implanté aujourd’hui, tant chez les clients que chez les commerçants. Les initiatives en ligne qui ont vu le jour durant la crise de la Covid ont perduré chez la plupart des commerçants car ils ont constaté qu’ils peuvent attirer des clients nouveaux ou différents par ce canal. »

 

2. L’internet permet de créer un point de contact supplémentaire avec votre client 

Les clients attendent de vous que vous soyez actif en ligne en tant que commerçant, ne serait-ce que par l’entremise d’un site web qui présente votre offre de produits. « Si une entreprise est absente en ligne, elle n’existe pas, je le constate très nettement chez les jeunes consommateurs, comme mes étudiants. Il faut donc avoir un pied en ligne pour être fiable pour le client du futur, pour qui la présence sur le web est la référence. »

Cela ne veut pas dire pour autant que vous allez générer de nombreuses ventes en ligne, mais la vente ne doit pas non plus être l’objectif premier de vos activités numériques. C’est l’un des points de contact du customer journey de vos clients (potentiels). « Votre enseigne numérique sert de repère à vos clients : ils y consultent votre offre et décident ensuite d’effectuer ou non un achat en ligne ou dans votre boutique physique. » 

Si vous disposez déjà d’une boutique en ligne parallèlement à votre boutique physique, celle-ci peut constituer une solution (temporaire) pour faire face aux prix élevés de l’énergie. Els Breugelmans : « J’ai entendu parler d’un magasin de fromages qui ferme désormais sa boutique physique pour économiser sur les coûts d’énergie, mais qui continue à rester ‘ouvert’ en ligne. »

 

3. Le blurring – le nom donné (notamment) aux fonctions qui se fondent les unes dans les autres – rend votre entreprise pérenne

« La crise fait augmenter le taux d’inoccupation de nos rues commerçantes. Ce n’est pas agréable à voir, mais ce n’est pas nécessairement une situation dramatique si le taux de vacance reste en dessous d’un pourcentage sain », déclare Els Breugelmans. « De nombreuses villes et communes ont développé une politique de ‘renforcement du cœur’ : nous évoluons vers des zones commerciales plus compactes dans lesquelles différentes activités sont intégrées. Les activités liées à l’horeca, mais aussi le logement et le shopping peuvent de plus en plus se faire aux mêmes endroits. Lorsque ces différentes fonctions se mélangent, le quartier devient beaucoup plus vivant. »

Le blurring est (notamment) le nom donné aux fonctions qui se fondent les unes dans les autres. « Le commerce de détail se porte souvent très bien à proximité des écoles ou au rez-de-chaussée des grands immeubles à appartements. » Ce ‘flou’ ne se produit pas seulement sur le plan géographique, mais aussi au sein même des points de vente, comme le prouve un coin café confortable installé dans un magasin de vêtements. 

« En proposant ces services supplémentaires, votre boutique évolue vers un lieu qui est plus qu’un simple espace de transaction : vos clients peuvent y vivre une expérience, y chercher l’inspiration, ou profiter d’un service fonctionnel comme le retrait de colis commandés en ligne. Ce qui, à son tour, vous donne l’occasion, en tant que commerçant, de procéder à des ventes incitatives et croisées. Le blurring permet d’être mieux préparé pour l’avenir. »

 

4. Le consommateur recherche les promotions et le luxe 

Certes, les consommateurs changent aujourd’hui leur comportement d’achat. « Les gens deviennent plus sensibles aux prix et aux promotions. Même les personnes dont les salaires sont automatiquement indexés, et qui ne ressentent donc pas autant les augmentations, commencent à faire plus attention au prix. Étant donné que les médias accordent une grande importance à la hausse des prix, ces personnes ont l’impression que leur vie devient également plus chère, même si leurs salaires suivent l’indexation. » 

Les magasins de luxe ne sont pas immédiatement touchés par la crise car leur groupe cible n’est pas affecté. « Mais les magasins de vêtements qui visent le segment légèrement supérieur le remarquent. Leurs clients – souvent des personnes qui disposent d’un double revenu – commencent également à limiter leurs achats et à dépenser moins d’argent pour les vêtements. » 

Pour l’instant, le secteur du voyage ne ressent pas vraiment les difficultés auxquelles sont confrontés leurs homologues détaillants. « Après deux années de Covid, les gens veulent à nouveau partir en vacances. Résultat, le budget des voyages n’est pas affecté actuellement. La question, bien sûr, est de savoir combien de temps cela va durer. »

 

5. Black Friday : stop ou encore ?

Els Breugelmans pense que le jeu en vaut encore la chandelle dans le chef de la plupart des commerçants. « En ces temps difficiles, les consommateurs comptent sur le Black Friday, et s’y préparent. Ils reportent leurs achats en prévision des promotions du Vendredi Noir. » Prévoyez donc des journées chargées. Les chiffres sont éloquents : en 2021, il y a eu 10 journées records en termes de paiements électroniques – dont le Black Friday – durant lesquelles près de 11 millions de transactions ont été enregistrées. Pour dire les choses telles qu’elles sont, le Black Friday de l’année dernière a été le deuxième jour le plus actif de l’histoire de l’e-commerce, après le Black Friday de 2020. *

« Mais ces chiffres élevés ne signifient pas que tous vos produits doivent absolument être vendus avec une forte réduction pendant le Black Friday. Ce qui est plus intéressant, c’est de voir de quelle manière vous pouvez utiliser ce jour ou cette semaine pour effectuer une rotation de votre stock et vous en débarrasser. Réfléchissez bien à l’avance aux produits que vous voulez proposer et qui intéressent votre public. Regardez également ce que fait la concurrence. Si, en tant que magasin d’électroménager, vous ne participez pas au Black Friday alors que tous vos concurrents répondent ‘présents’ à l’appel, vous aurez du mal à générer des ventes pendant cette période. Et si l’on considère les chiffres d’affaires élevés réalisés pendant le Black Friday, ne pas y participer peut alors s’avérer risqué, parce que vos clients ne sont pas toujours aussi fidèles que vous le pensez. Aujourd’hui, votre concurrent est toujours présent, sur les smartphones de vos clients. » Notez également les nouvelles règles européennes en matière de remises.

Dès lors, impossible de ne pas participer ? Bien sûr que si ! « Renoncer volontairement à ce grand spectacle de la consommation peut être un choix délibéré. Vous pouvez également en faire état volontairement en tant que détaillant. Ce choix est pertinent s’il correspond à l’ADN de votre entreprise ou de votre marque et résonne alors positivement à l’oreille de vos clients. » La décision vous appartient donc en tant que détaillant ; il n’existe pas de formule miracle.

 

*Source : Worldline